Suite de des souvenirs relatifs à Chhimed Rigdzin Rinpoché, n° 11

Publié le 29 Juin 2017

Source de l'illustration : http://khordong-byangter.blogspot.fr/2016/06/tomorrow-15th-day-of-4th-tibetan-month.html

Épisode précédent: cliquer ici

Un lecteur a relevé, dans l’épisode précédent, la sortie très crue de Chhimed Rigdzin Rinpoché sur l’homosexualité monastique. N’ayant moi-même été personnellement témoin de rien, bien que j’aie entendu beaucoup de choses et que certains indices m’en aient fait soupçonner d’autres, je ne peux pas faire la part, dans ce qu’il disait, qui était à mettre au compte de sa franchise brutale, et quelle partie relevait plutôt du discours convenu des « tantristes » (sngags pa) sur les moines — discours n’ayant pas nécessairement plus de vérité que les plaisanteries traditionnelles que tel groupe humain fait sur tel autre. 

   Ainsi, je me souviens d’une conversation très amusante, dont quelques détails ont pu m’échapper, que j’ai entendue entre Zimpönla (l’ancien valet de chambre du XVIème Karmapa) et Chhimed Rigdzin Rinpoché, dans l'appartement de Jean-Louis Massoubre, rue Mesnil, dans ces années 1990. 

  C. R. Rinpoché était assis dans un canapé au fond de la pièce, avec à côté de lui Khetsun Sangpo Rinpoché qui lui rendait visite ; Zimpönla était débout à l'autre bout de la pièce, près de la porte de la cuisine, dans mon souvenir. Il s’adressait à C. R. Rinpoché sur le ton d’une indignation certainement très jouée, et Rinpoché lui répondait avec une verdeur tout aussi théâtrale. Le fond de la conversation était :

« — Vous autres, ngakpas, vous vous prétendez des pratiquants du Dharma ; mais vous ne faites que vous complaire dans l’alcool et la fréquentation des femmes !
— Mais ça vaut toujours mieux que vous autres, les moines, qui préférez les petits garçons!»

La conversation a continué ainsi d’énormité en énormité et a fini sur un éclat de rire avec la comparaison du chapeau des lamas sakyapas avec la coiffe des femmes du Ladakh. Visiblement, personne ne s’était senti offensé dans cet échanges d'injures dantesques.

   Cela étant posé, de fait, le sexe avait une place assez centrale dans la conversation de Chhimed Rigdzin Rinpoché. On dira peut-être que « la bouche parle de l’abondance du cœur » et que le sage du Toit du Monde était en vérité un vieux satyre. Je ne saurais que dire du rapport personnel de ce lama à la concupiscence sexuelle ; il me semble surtout que, dans ce registre, son attitude consistait surtout à confronter les gens à leur hypocrisie ou à leur malaise, et c'était d’autant plus effrayant qu’il devinait, d’une manière peu compréhensible, les secrets que l’on aurait préféré dérober à son regard.

   Une fois, par exemple, à l’époque où il marchait encore, il raconta qu’il s’était levé la nuit pour aller aux toilettes et qu’il avait vu son hôte (ce n’était pas en France) avoir des rapports avec une autre femme que la sienne. Et (si je m'en souviens bien) il lui demanda en face et en public pourquoi il faisait cela.  

   Une autre fois, une de mes connaissances lui a rendu visite, un homme dont je n'ai aucune idée de la vie privée. Ce n’était pas moi le traducteur; absolument personne n’a rien pu dire à Rinpoché de ce que cette personne pouvait désirer garder pour elle-même. Toujours est-il qu’il m’a ensuite fait de forts reproches, supposant que j’avais étalé indiscrètement le détails de ses secrets devant Chhimed Rigdzin Rinpoché, qui, apparemment, lui en a parlé de manière excessivement précise.

   Parfois, complètement en-dehors de ce registre du dévoilement des choses cachées (auquel, soit dit en passant, dans tous les cas où j'en ai été témoin, il procédait sans aucune dimension d'accusation ou de culpabilisation moralisatrice, et d'ailleurs parfois au moyen de paroles un peu équivoques, qui faisaient que le destinataire de son discours se savait percé à jour, mais sans que tout le public devant lequel il se sentait confondu puisse exactement comprendre à quoi il était fait allusion), Chhimed Rigdzin Rinpoché s’amusait plutôt à confondre la pruderie de ses auditeurs.

   Je n’ai pas été témoin de ses premiers enseignements en Pologne, mais il semble qu’il s’était beaucoup amusé (si c'est le terme juste) au dépens de quelques moines et nonnes bouddhistes polonais (Kagyüpas) venus assister à ses enseignements, qui s’étaient, comme il se doit, placés au premier rang avec une attitude pleine de dignité. Il rajoutait à des histoires qu’il racontait des détails obscènes qui, visiblement, n’avaient absolument aucun intérêt quant au propos central de la narration. Voici un exemple parfait qui m'en a été rapporté (on me pardonnera de ne pas traduire !) :

« — There was one nun… this, what sort nun being, I not knowing. Maybe finger-sex-having-nun possible… »

Il y aurait d'innombrables exemples de ce genre, mais les accumuler n’apporterait rien, outre quelques occasions de rire. En voici tout de même un autre.

   C. R. Rinpoché avait été invité au temple de Kagyü Dzong, près du Lac Daumesnil dans le Bois de Vincennes. Le Lama Gyurmed, qui visiblement l’aimait bien, l’avait fait asseoir sur un grand trône, où il avait eu peine à se hisser et dont il eut aussi bien du mal à descendre. Je reviendrai plus tard, peut-être, sur l’enseignement qu’il a donné ce jour-là (c'est cette fois-là qu’il a dit de moi que j'étais très fort en grammaire tibétaine, mais que je ne comprenais rien en philosophie). Toujours est-il que — probablement parce que c’est le moment où il est devenu insulino-dépendant, son diabète s'étant aggravé — il commença cet enseignement — sur la méditation — en disant : « Ah, comme ce serait commode, si la méditation pouvait s’enseigner par injection ! Hélas, ce n'est pas possible », etc.

   Au moment où, ayant achevé son enseignement (l'un des plus paradoxaux de tous ceux que j'ai entendus), il redescendait laborieusement l'échelle assez raide du trône d’où il avait prêché, une brave dame d'une bonne soixantaine d'années se leva et, les mains jointes et l’air dévot, elle lui dit :

« — Rinpoché, revenez souvent nous faire des injections de méditation comme cela ! »

À quoi bien évidemment il répondit, dans l'enceinte sacrée :

« Passez me voir après l'enseignement, je vais vous en coller, moi, une injection spéciale ! »

Épisode suivant : cliquer ici.

Rédigé par Stéphane Arguillère

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R
Merci Stéphane ... excellent !!!
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S
Merci !